Tout arrêt de travail pour maladie ou accident ouvre droit à congés payés

Se conformant à la réglementation européenne, la Cour de cassation décide d’écarter partiellement les dispositions des articles L.3141-3 et L.3141-5 du code du travail et juge désormais que le salarié malade acquiert des congés payés pendant les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie non professionnelle et pour accident du travail au-delà d’un an.

Contrairement au droit européen, le code du travail ne prend en compte, pour le calcul des congés payés, ni les périodes d’absence pour maladie non professionnelle ni celles pour maladie ou accident d’origine professionnelle au-delà d’un an. La chambre sociale de la Cour de cassation alertait les pouvoirs publics dès son Rapport annuel de 2013 sur la nécessité d’une réforme des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail, lesquels ne sont pas conformes à l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et à l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Sans intervention du législateur, le juge français ne peut pas, en application de la directive 2003/88/CE, écarter les effets d’une disposition nationale contraire dans un litige entre des particuliers, et donc entre un salarié et un employeur de droit privé (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285).

Remarque :   la directive est en revanche directement applicable dans les relations entre salariés et un employeur public ou un employeur privé assurant la gestion d’un service public (Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-20.111 ).

Mais en 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé que l’article 31 § 2 de la Charte précité est directement invocable par un salarié dans un litige qui l’oppose à son employeur de droit privé, et que le juge national doit alors laisser inappliquée la réglementation nationale non conforme (CJUE 6 nov.2018 aff. 569/16 ). C’est ce que la Haute Juridiction rappelait dans son Rapport annuel au titre de l’année 2018 en appelant à nouveau de ses vœux une réforme. Elle précisait que la Direction générale du travail, compétente sur cette question, avait été sollicitée et n’avait pas donné de réponse en l’état (Rapport 2018 p. 98 s.).

Remarque : l’État a été condamné récemment à indemniser des organisations syndicales pour retard de transposition de l’article 7 de la directive 2003/88/CE (CAA Versailles, 17 juill.2023, n°22VE00442).

En l’absence de réaction du législateur, la chambre sociale réunie en formation plénière fait évoluer spectaculairement sa jurisprudence afin de garantir l’effectivité des droits à congé garantis par le droit européen. Dans deux arrêts du 13 septembre 2023, qui seront publiés au Bulletin des chambres civiles et au Rapport annuel de la Cour de cassation, elle décide de laisser inappliquées les règles contraires au droit européen. Elle juge que, désormais, le salarié peut acquérir des droits à congés payés pendant les périodes de suspension de son contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle ou pour cause de maladie professionnelle ou accident du travail au-delà d’un an ininterrompu.

C’est la première fois, à notre connaissance, que la chambre sociale de la Cour de cassation met en œuvre ce mécanisme d’éviction d’une partie d’une disposition légale.

Selon nous, la solution s’applique dès maintenant aux litiges en cours. La chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la sécurité juridique ne pouvait pas faire obstacle à l’application d’une nouvelle jurisprudence (Cass. soc., 18- mai 2011, n° 09-72.959,  Cass. soc., 10 avr. 2013, n° 12-16.225).

Remarque : se pose la question de la prescription applicable à l’action en rappel d’indemnité compensatrice de congés payés, laquelle a une nature salariale. Désormais, le point de départ du délai triennal ne doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris que si l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé (voir Cass. soc., 13 sept. 2023, n°22-10.529). Dans la mesure où l’employeur n’aura pas pris en compte les absences pour maladie dans le calcul des droits à congés payés avant ce revirement, doit-il être considéré comme n’ayant pas accompli les diligences à sa charge, empêchant ainsi les salariés de prendre leurs congés payés ? Dans l’affirmative la prescription n’aurait alors pas commencé à courir.

Les dispositions du code du travail…

La durée des congés payés est calculée en tenant compte du travail effectivement accompli…

L’article L. 3141-3 du code du travail lie le droit au congé à l’accomplissement d’un travail effectif en ces termes : « Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. » Il en résulte que les périodes d’absence du salarié ne sont pas retenues pour le calcul du nombre de jours de congés payés. Le législateur a tempéré cette règle en assimilant certaines périodes d’absence à du travail effectif. C’est l’objet de l’article L. 3141-5 du code du travail en premier lieu et, au surplus, de nombreuses dispositions éparses.

… sauf assimilation des absences à du travail effectif

Aux termes de l’article L. 3141-5 précité, les périodes de suspension du contrat de travail en raison d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle sont assimilées à du travail effectif pour la détermination de la durée du congé, mais uniquement dans la « limite d’une durée ininterrompue d’un an » (C. trav., art. L. 3141-5, 5°). Au-delà d’un an, le salarié arrêté n’acquiert plus aucun droit à congés payés.

En revanche les périodes d’absence pour maladie d’origine non professionnelle ne sont pas visées parmi les absences assimilées énumérées à l’article L. 3141-5 du code du travail. Elles ne permettent donc pas d’acquérir des congés payés pendant toute la durée de l’arrêt de travail.

environ 200 conventions collectives prévoient des dispositions supra-légales et assimilent, sous conditions, tout ou partie des périodes d’absence pour maladie non professionnelle à du travail effectif pour l’acquisition des congés payés. C’est le cas par exemple de la convention collective nationale unique de la métallurgie, qui assimile l’absence pour maladie dans la limite de 2 mois par période de référence ou de Syntec à la condition que le salaire soit maintenu pendant l’arrêt de travail. Par ailleurs, la règle des équivalences permet à un salarié ayant été absent 4 semaines ou 20 jours au cours de la période de référence de bénéficier de la totalité de ses congés payés (C. trav. art. L 3141-4).

… qui sont contraires au droit européen…

L’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, prévoit un droit à congés payés d’au moins 4 semaines par anCe droit à congé n’est pas affecté en cas d’absence du salarié pour raisons de santé au cours de la période d’acquisition des congés, le droit européen n’opérant aucune distinction entre les salariés absents pour maladie pendant la période de référence et ceux ayant effectivement travaillé pendant la période d’acquisition des congés (CJUE, 24 janv. 2012, aff. 282/10).

… sont écartées par le juge national

Deux pourvois formés par des salariés, qui invoquaient expressément l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, fournissent à la Cour de cassation l’occasion de se conformer au droit de l’Union. Par arrêts de revirement du 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation, après avoir rappelé les éléments de droit européen visés ci-dessus et appliquant les solutions dégagées par la CJUE, constate qu’elle ne peut pas procéder à une interprétation du code du travail conforme au droit européen qui serait contra legem et, en conséquence, elle décide de laisser inappliquées les seules dispositions nationales non conformes.

S’agissant des absences pour maladie non professionnelle

La Cour écarte l’application des dispositions de l’article L. 3141‑3 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congés payés par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie  non professionnelle et juge que ce salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période (1e espèce).

Et des absences au-delà d’un an s’agissant des AT/MP

Elle écarte également l’application des dispositions de l’article L.3141-5 du code du travail en ce qu’elles limitent à une durée ininterrompue d’un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congés payés et juge que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la totalité de cette période (2e espèce).

La solution concerne l’ensemble des congés payés

Le droit européen consacre un droit annuel à congés payés de 4 semaines. Mais la Cour de cassation précise que le principe de non-discrimination au regard de l’état de santé conduit à appliquer ce revirement aux 5 semaines légales de congés payés et aux congés conventionnels.

Remarque :  selon nous, sont concernés les congés conventionnels pour ancienneté, en raison de l’âge ou d’un handicap. En revanche, la solution n’a pas d’impact sur le nombre de jours de repos ou RTT car la législation sur les congés payés n’est pas applicable en matière de durée du travail.

Quelles conséquences pour les entreprises ?

S’agissant de la période d’acquisition en cours, le revirement de jurisprudence conduit à tenir compte des absences pour maladie pour calculer le nombre de jours de congés payés en cours d’acquisition. Des précisions du ministère du travail seraient les bienvenues, de même qu’une modification législative.

S’agissant des périodes de référence antérieures, les entreprises doivent se poser la question d’une régularisation avec leurs conseils, qui aboutirait à l’octroi de jours de congés payés acquis.

Concrètement, un salarié en arrêt maladie simple pendant 1,5 ans aurait acquis 45 jours de congés payés sur cette période (18 mois x 2,5) qu’il devrait prendre, à l’issue de son arrêt, sans que puisse lui être opposée la clôture de la période de prise des congés applicable dans l’entreprise car il doit bénéficier d’un droit au report (Cass. soc., 24 févr. 2009, n° 07-44.488 ; Cass. soc., 25 mars 2009,  n° 07-43.767).

Remarque :  le report du congé acquis non pris doit être effectif, ce dernier ne pouvant pas être remplacé par une compensation financière (Cass. soc,. 14 oct. 2009, n° 08-40.375).

Une des solutions pratiques pourrait passer par la possibilité de limiter la période de report des congés non pris. La jurisprudence européenne accepte en effet que le report des congés acquis soit limité dans le temps par une disposition nationale ou une convention collective car la finalité du droit au congé annuel payé (se reposer et disposer d’une période de détente et de loisirs) ne requiert pas d’accorder un droit à un cumul illimité de jours de congés ; la CJUE a jugé conforme une période de report de 15 mois (CJUE, 22 nov., 2011 aff. 214/10). La Cour de cassation admet également que la période de report des congés payés soit limitée dans le temps sous réserve de dépasser substantiellement la durée de la période de référence et précise qu’à défaut de limite légale, il n’appartient pas au juge d’en fixer une (Cass soc., 21 sept. 2017, n° 16-24.022). Un mécanisme de limitation du droit à report pourrait être mis en œuvre soit par le législateur, soit par convention ou accord collectif. À ce jour, le législateur n’a pas fixé de limite au report des congés payés acquis dans un tel cas de figure.

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